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Dr. Sampawende Jules Tapsoba : « Le Togo a fait beaucoup de progrès dans le contexte du programme du FMI »

Dr. Sampawende Jules Tapsoba

Dans une interview accordée à Togo Matin, le représentant-résident du Fonds monétaire international (FMI) au Togo dresse les différents progrès réalisés par le Togo dans le cadre du programme de Facilité élargie de crédit (Fec). Dr. Sampawende Jules Tapsoba est également revenu sur les contributions du FMI pour aider le pays à relancer son économie face à la crise sanitaire du coronavirus.

 

Togo Matin : Le FMI a autorisé un décaissement immédiat de 131.3 millions de dollars pour le Togo dans le cadre de la lutte contre la pandémie du coronavirus. Qu’est-ce qui justifie une telle décision en faveur du pays ?

Dr Sampawende Jules Tapsoba: Nous avons une longue relation avec le Togo. Dans ce cadre le Togo avait un programme avec le Fonds monétaire international et la dernière revue de ce programme était prévue pour le début de cette année. Dans ce contexte, nous avons déjà prévu de verser 31,3 millions de dollars. Avec le coronavirus qui est une pandémie mondiale et qui a des implications sanitaires et économiques, le FMI a décidé d’aider les pays membres y compris le Togo. Et dans ce contexte, nous avons augmenté l’accès du Togo en terme financier. Donc nous sommes passés de 31,3 millions qui était prévu dans le budget à 131 millions de dollars. Concrètement il y a 100 millions de dollars qui sont versés au Togo pour l’aider à faire face aux implications sanitaires et économiques du coronavirus.

Quels sont les domaines dans lequel le Togo a réalisé des progrès dans le cadre du programme soutenu par le FMI ?

Le Togo a fait beaucoup de progrès dans le contexte du programme du FMI. Nous avons commencé le programme fin 2016. Lorsque nous avions commencé, le problème principal, c’était la dette publique qui était à 81%. L’idée était de ramener cela sous les normes communautaires de 70%.

Au niveau budgétaire, la dette est passée de 81% fin 2016 à 69,1% actuellement en terme de dette publique y compris la dette des sociétés d’Etat. Avant le coronavirus, nous prévoyions 67%, mais le coronavirus a des implications de déficit budgétaire et nous sommes à 69%. C’est le premier acquis, des finances publiques plus assainies.

Le deuxième succès est au niveau des réformes budgétaires. Il y a plusieurs dimensions. Par exemple en ce qui concerne la recette, nous avons aidé les autorités togolaises à augmenter le niveau de recette. Nous avons touché par exemple les exonérations qui ont beaucoup diminué. Elles sont passées de 4,3% du PIB à 2,3 % du PIB, soit une réduction d’environ 2%. Ce qui veut dire qu’on a réduit les exonérations d’environ 60 milliards en moyenne. Nous avons aussi augmenté les paiements d’arriérés des grandes entreprises et des moyennes entreprises vis-à-vis de l’OTR c’est-à-dire que nous avons amélioré la performance des entreprises qui n’arrivaient pas à payer la recette publique. Aujourd’hui, nous sommes passés d’un taux de recouvrement de 66% à 71% pour les grandes entreprises, de 48% à 72% pour les moyennes entreprises.

L’autre progrès est au niveau de la connexion des douanes et des impôts. Nous avons aussi travaillé avec les autorités dans ce contexte sur l’utilisation de la technologie. Du côté de la dépense et de la gestion des finances publiques, nous avons beaucoup aidé à apurer les arriérés intérieurs. Aujourd’hui, on peut dire que le Togo n’a pratiquement plus d’arriéré intérieur de stock et l’accumulation est aussi faible.

Nous avons aussi aidé les autorités à construire une trésorerie solide. Le compte unique du trésor a aussi été amélioré et nous avons aidé à réformer la direction de la dette qui aujourd’hui, est plus opérationnelle qu’avant avec une stratégie de dette qui est très claire.

Nous avons aidé à la budgétisation des projets d’investissements. Nous avons fait de sorte que tout projet qui rentre dans le budget passe par l’analyse coût bénéfice pour s’assurer que les projets les plus pertinents entrent.

Enfin, nous avons travaillé avec le gouvernement sur le climat des affaires et là je n’ai pas besoin de m’étaler puisque tout le monde connaît le succès qu’on a.

Le FMI souligne que des réformes restent incomplètes dans un secteur clé, quel est ce secteur ?

Le programme était bâti sur trois piliers. Le premier était l’assainissement budgétaire qui a été un succès total. Le second pilier concernait les réformes budgétaires dont j’ai étalé le succès et le troisième pilier était l’assainissement du secteur financier, qui consiste à s’attaquer à la résolution des problèmes qu’il y avait dans les deux plus grandes banques publiques, nommément l’UTB et la BTCI. Au début du programme avec le gouvernement togolais, il était question de fusionner, après le changement de stratégie a été adopté pour essayer de céder les banques séparément, donc le processus de fusion a été abandonné. Dans une troisième étape, au vu des développements et de l’intérêt que certains avaient pour les banques, on a décidé de passer à l’appel d’offres des banques, c’est-à-dire la mise en adjudication des banques aux plus offrants en termes de condition financière et de condition de reprise. Ces changements de stratégie ont permis de connaître un retard et aujourd’hui nous sommes dans le processus à travers la troisième stratégie qui est l’appel d’offres lancé depuis janvier et qui est en cours. Le processus avait été retardé pour faire face aux événements politiques tels que les élections pour permettre aux investisseurs d’avoir une idée claire. Le programme est terminé donc c’est pourquoi nous disons qu’on n’a pas eu de succès escompté en termes de timing, sinon le train est en marche et la direction est là.

Cette crise du coronavirus a de lourdes conséquences sur l’économie togolaise, le ministre de l’Economie et des Finances M. Sani Yaya parle d’un ralentissement de l’activité économique. Que pensez-vous de cette situation ? 

Effectivement le ministre des Finances a parlé de ralentissement économique, ce qui est vrai, parce le coronavirus  est un choc à triple volet pour les pays en développement. Il y a le choc sanitaire, il faut faire face aux aspects sanitaires, mais aussi le choc économique. La pandémie implique un arrêt de l’économie. Qui dit arrêt de l’économie, dit absence de recettes, absence de dynamique de croissance. Il y a également le choc sur les prix des matières premières. Pour le Togo, ce sera le phosphate et autres.

Le premier cas positif au coronavirus a été déclaré au Togo le 6 mars, donc nous pouvons dire que depuis cette date il y a des problèmes pour l’économie, mais le Togo n’est pas isolé dans ce contexte-là. En termes d’impact, les différentes données qu’on a pour le mois de mars sont source d’incertitude, parce que le coronavirus crée de l’incertitude. Et cette incertitude amène les agents économiques à ne pas beaucoup échanger. Nous le constatons dans la fréquentation du commerce de détails, de supermarchés qui dans l’ensemble a baissé de 40%.

Nous constatons aussi que la décision de faire un confinement partiel a eu un impact sur la mobilité des travailleurs et les gens ont tendance à rester dans les lieux de résidence avec une hausse de 17% et à aller moins au travail avec une baisse de 11%. Ces éléments nous montrent qu’il y a eu un impact pour le mois de mars.

Dans le cadre de ce ralentissement, le gouvernement a fait un effort de tenir compte du volet social avec le programme Novissi qui a été lancé et je pense que c’est bien qu’on prenne en compte les plus vulnérables qui seront affectés.

Que fait le FMI pour accompagner la relance économique du Togo ? 

Le FMI pense que la croissance togolaise va passer d’un régime de 5,5% de croissance à un régime de 1% selon les informations que nous avons. Cela est évolutif, tout dépend de l’amplitude du choc. Pour le moment le coronavirus est assez contenu en termes de cas officiels déclarés au Togo par rapport aux autres pays.

Pour un tel décrochage de 4,5% de croissance, il faudrait penser à relancer l’économie. Mais relancer l’économie c’est de deux ordres. Le premier c’est l’économie intérieure, il faudrait voir quels sont les leviers de la croissance de l’économie intérieure, il y a la commande publique, le secteur privé. Comment dynamiser tout cela ? Il va falloir penser à un plan de relance qui peut être de type keynésien, commencer des programmes de dépense publique et d’infrastructures. Il y a aussi l’aspect de la demande extérieure, il faudrait penser aussi comment le Togo peut être plus solide en terme d’exportation et en terme de vente à l’extérieur.

Le gouvernement a lancé un fonds d’environ 400 milliards pour la relance et l’aspect social, dans ce cadre il y aura certainement des réflexions et des actions à mener pour soutenir le secteur privé et le secteur public pour maintenir le levier de la croissance.

Nous avons déjà accompagné le gouvernement avec une enveloppe de 78 milliards FCFA et nous avons annulé le paiement du service de la dette qui est d’environ 3 milliards. Au total, l’argent frais qui a été déboursé pour aider le gouvernement est d’environ 81 milliards. Sur cette somme, 20 milliards avait été déjà programmés, donc nous dirons qu’en additionnel il y a eu 61 milliards. Cette somme devrait couvrir le plan de réponse en termes de contribution du FMI. Le plan de riposte sanitaire est estimé à environ 21 milliards, donc nous estimons qu’il reste environ 40 milliards pour relancer l’économie. Cette contribution est celle du FMI, mais dans le fonds qui a été annoncé il y a la contribution de l’Etat, du secteur privé, et celle des autres partenaires. Une fois que l’aspect sanitaire aura été absorbé, il faudrait penser à relancer l’économie qui est aussi affectée. Il faut penser aux plus pauvres, c’est ce que font le programme Novissi et la suppression de la tranche sociale dans le paiement de l’électricité. Il faudrait aussi penser aux entreprises qui sont l’épine dorsale de la croissance au Togo.

Votre mot de conclusion ?

Il y a deux niveaux de conclusion. Le premier c’est celui du programme. Le programme avec le FMI sur trois ans, je pense que le crédit est revenu aux Togolais, il y a eu  beaucoup de succès et ce qui n’a pas été achevé le sera certainement. Il y a un début de direction pour l’assainissement et la stabilité macro et que nous devons saluer.

Le deuxième volet est perceptible au niveau de la réponse à la pandémie du coronavirus. Il faut clairement dire que le Covid-19 est un risque pour l’économie, on risque de repartir en arrière mais en fonction des différents types de réponse, nous réussirons à juguler. Il faudrait que tout le peuple togolais, avec à sa tête les premiers dirigeants, sache répondre de façon idoine au coronavirus pour qu’on ait des résultats, mais j’ai espoir que le Togo est sur la bonne dynamique.

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