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Interview / Bruno Bouygues, le PDG de GYS : Doing Business, PND, industrie 4.0…

Bruno Bouygues

Depuis 2004, il est à la tête de GYS, ce géant mondial de la fabrication d’équipements de soudage et de chargeurs de batteries, fondé en 1964. Bruno Bouygues était très récemment en séjour au Togo, au moment où, curieusement, tous les feux de l’actualité étaient focalisés sur notre pays grâce, entre autres, au sacré bond réalisé dans le classement Doing Business. « Togo Matin » a rencontré le dirigeant qui ne ménage rien pour l’extension de son entreprise. Il n’exclut, d’ailleurs pas, l’idée de s’installer au Togo. Entretien !

Cette semaine, la Banque Mondiale dans son classement « Doing Business 2020 » a classé le Togo comme premier pays réformateur d’Afrique. Vous êtes investisseur international et vous connaissez un peu le Togo. Qui êtes-vous et qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

Je suis Bruno Bouygues, le patron de GYS (www.gys.fr), un groupe industriel français de 750 personnes qui conçoit et fabrique du matériel de soudage et des chargeurs de batteries. Le groupe, en forte croissance, devrait franchir le seuil des 100M€ de chiffre d’affaires et a investi, sur les 10 dernières années, en France, Allemagne, Italie, Angleterre et Chine. Pour ce qui est du Togo, j’ai la chance d’avoir depuis de nombreuses années des amis togolais à Paris et c’est mon deuxième voyage au Togo sur les trois dernières années. J’ai fait un premier voyage fin 2016 pour venir rencontrer des clients ici à Lomé. Pendant ce deuxième voyage, je suis venu en famille passer quelques jours de vacances entre Lomé et Kpalimé et j’ai profité de mon séjour sur Lomé pour discuter avec des clients.

Pendant ce deuxième voyage cette année, j’ai notamment pu noter que le pays avait beaucoup investi dans ses infrastructures routières, logistiques, télécoms et numériques. L’excellente qualité du Port de Lomé – soulignée par tous les clients rencontrés – qui est désormais le premier port d’Afrique de l’Ouest semble aussi être un atout important pour continuer à construire l’avenir du pays. Être reconnu comme le premier pays réformateur d’Afrique est pour moi un gage de sérieux et devrait permettre d’accélérer la croissance des investissements directs internationaux au Togo.

Vous êtes reconnu comme un expert du secteur industriel européen, connaissez-vous le secteur industriel togolais ?

Un peu. Il y a, à ma connaissance, plusieurs secteurs qui sont importants au Togo, comme le secteur de l’extraction de matières premières comme le calcaire et le phosphate, la production agricole comme les cultures de café, cacao et coton. Personnellement, je trouve que les fruits et les légumes locaux sont aussi exceptionnels et je confesse un gout immodéré pour les ananas « Pain de Sucre ». A ma connaissance, il y a une volonté politique forte pour développer le textile mais le travail du bois et du métal est encore principalement artisanal et pourrait se développer rapidement, dans le cadre de partenariat public-privé.

J’ai donc l’image d’un Togo dynamique avec une base agricole diversifiée de grande qualité, une base artisanale forte qui doit se faire mieux connaitre à l’international, et une petite base industrielle qui est aujourd’hui principalement tirée par la commande publique. A ce sujet et grâce à ses investissements récents dans ses infrastructures physiques, numériques et logistiques, le Togo s’est construit une belle plateforme pour accélérer son développement industriel. Enfin, un secteur qui reste encore sous-exploité est celui du tourisme et il y a de nombreuses opportunités à saisir sur place pour les grands opérateurs internationaux et les spécialistes du sujet.

Aujourd’hui, on parle de plus en plus de mondialisation. D’importantes entreprises s’étendent. A votre avis, comment peut-on percevoir la notion des PME dans ce contexte globalisé ?

Quel que soit le pays, toutes les sociétés sont confrontées à deux sujets : la guerre des talents et les problématiques de transmission des savoirs. Souvent dans cette guerre, les entreprises ou les structures familiales permettent de donner un cadre, de la visibilité, créer des carrières et je pense qu’il y a autant de chances de réussir quelle que soit la taille, c’est une question de volonté et d’opportunités. Un des atouts dont le groupe GYS dispose est le suivant : en étant en France, nous avons accès à l’Europe avec une très grande facilité du transport des marchandises et des personnes. Le Togo comme membre de la CEDEAO, un marché de près de 300 millions de consommateurs, est un peu comme la France qui est plongée dans l’Europe, un marché de 500 millions de personnes. Les entrepreneurs français et togolais sont dans ce sens très similaires ; ils doivent dans un premier temps créer une offre pour leur marché national mais rapidement, ils doivent aussi analyser les opportunités à structurer leur offre pour la sous-région : les économies d’échelle de la sous-région permettront de créer des entreprises mieux structurées et d’attirer plus de talents. L’offre et la demande dans la sous-région doit donc être analysée et les entrepreneurs doivent capitaliser sur les atouts de leur pays pour proposer une offre véritablement différentiable.

Parlant des PME familiales, quelle est l’histoire de votre entreprise ?

L’entreprise GYS (www.gys.fr) a été créée en 1964 par M. Guy et M. Yves Stéphanie, père et fils. Le métier originel était la fabrication de produits à base de transformateurs. GYS avait une activité industrielle simple, de taille modeste et servait principalement le marché français. Peu de temps après le rachat de cette entreprise par mon père en 1998, notre secteur a fortement évolué car l’électronique y a fait son entrée et a bouleversé la technologie présente dans les produits. Le groupe GYS a décidé de se lancer dans la bataille de la technologie et rapidement nos imposants postes de soudage traditionnels à base de gros transformateurs sont devenus des petits postes de soudage électroniques. Vingt années plus tard, GYS est devenue la plus grande entreprise européenne dans la conception et fabrication de postes de soudage et la première marque européenne pour les artisans et les petits industriels. Avec nos 750 collaborateurs, nous fabriquons 2000 machines par jour et nous exportons nos produits dans plus de 130 pays. En 20 ans, l’entreprise GYS est passée de 50 personnes à plus de 750 personnes.

Comme vous vous doutez, cette évolution a profondément modifié notre entreprise et notre culture d’entreprise. Il y a 20 ans, nous pensions que nous ne connaitrions qu’une seule révolution technologique, c’est-à-dire, la transformation de l’électrotechnique en électronique. Mais de fait, on s’apprête à connaître une deuxième révolution technologique car nos machines électroniques sont devenues intelligentes et certaines commencent à se connecter sur des réseaux informatiques. La révolution de l’autoroute numérique que nous avons connu avec l’arrivée des smartphones arrive, elle aussi, dans le monde industriel. Nos nouveaux clients, qui ont grandi avec des smartphones, sont devenus plus exigeants et demandent aux nouvelles générations de produits d’apporter des services numériques leur permettant de gagner en efficacité et en productivité.

A ce sujet, je pense que cette nouvelle révolution industrielle qui commence (Ndlr : ce qu’on appelle une industrie 4.0) est un atout exceptionnel pour l’Afrique parce que l’électronique est en train d’entrer un peu partout et nécessite de développer des couches logicielles de plus en plus importantes pour rendre les produits ou les services de plus en plus différenciant. Il y a en Afrique, de nombreux techniciens et ingénieurs exceptionnels, qui vont se lancer sur ces sujets. Je pense que la modernisation des infrastructures numériques au Togo est un atout pour cette industrie 4.0. Avec de bonnes infrastructures numériques, quelques écoles spécialisées et une main d’œuvre compétitive, le Togo, comme la sous-région, doit être capable, dans les années à venir, de créer un pôle numérique performant et proposer des partenariats avec de nombreuses grandes sociétés technologiques partout dans le monde. Pour cela, j’ai un regard très positif sur ce nouveau vecteur de développement pour l’Afrique en général.

De quels pays d’Afrique viennent vos collaborateurs issus du continent ?

A l’heure actuelle, nous avons des personnes qui viennent du Burkina-Faso, du Maroc, du Sénégal, de l’Afrique du Sud qui travaillent en France, Allemagne et Angleterre chez nous. Cela montre bien que l’Afrique est un réservoir de talents que les entrepreneurs d’aujourd’hui et de demain, partout dans le monde, et en Afrique en particulier, pourront utiliser.

Vous connaissez d’une certaine manière le secteur industriel africain. Par rapport à l’expérience française sinon mondiale, comment est-ce qu’on peut travailler pour booster aujourd’hui ce secteur avec tous les défis qu’il connaît ?

Chaque pays où industrie a des défis qui lui sont propres. Par exemple, la France a des défis qui sont liés à la fermeture continuelle des usines sur les vingt (20) dernières années. Ce qui est très important au niveau du gouvernement et des hommes d’affaires, c’est de créer un imaginaire collectif autant qu’il le faut. Chaque fois qu’il y a de petites réussites, il faut les célébrer, il faut créer des visuels. Dans le secteur agricole, il est assez facile de trouver des exemples de la réussite togolaise. Et à partir de là, il faut construire dans d’autres secteurs, d’autres exemples de réussite à travers la presse, la télévision, la radio, le numérique pour donner envie. Il est important pour l’Afrique en général et pour le Togo en particulier, de se battre pour favoriser l’émergence de champions domestiques.

En industrie, Il n’y a pas d’atavisme familial. Il faut se créer un univers collectif dans l’artisanat et ensuite dans l’industrie. Il y a de merveilleux artistes au Togo, par exemple, le palais de Lomé qui est en train d’être rénové, va devenir une référence culturelle en Afrique de l’Ouest. C’est un moyen fabuleux de syndiquer une forme d’artisanat. Il faut développer le sentiment de fierté, protéger ses savoir-faire et sa culture, se positionner sur le milieu et haut gamme pour exporter et avoir à l’esprit qu’il est impossible de se passer maintenant du numérique. Pour attirer les industriels, il faut se demander qu’est-ce que j’offre de différent ? Comparé à trois ans en arrière, le terreau devient de plus en plus fertile. Maintenant, ce n’est pas parce que le terreau est fertile que les plantes doivent obligatoirement pousser, il faut semer des graines, il faut veiller à ce qu’elles poussent.

Le modèle qu’on connaissait à un moment des révolutions technologiques, est- il applicable aujourd’hui à l’orée du 4.0 ?

Le numérique est une opportunité pour tout le monde et notamment pour les PME qui sont flexibles et dynamiques. Sur le sujet du numérique 4.0, la taille n’est pas le sujet principal, ce qui compte c’est plutôt l’envie de participer à cette révolution et d’y apporter sa pierre. En revanche, ne pas embrasser et ne pas investir sur le numérique et/ ou l’industrie 4.0, c’est dangereux car tout change très vite. Une comparaison facile est de refuser de passer du fax au mail, c’est encore possible un peu aujourd’hui mais qui dit que cela le sera encore dans 5 ans ? Aujourd’hui, les mutations s’imposent et ceux qui avanceront le plus vite seront ceux qui vont embrasser ces
nouvelles technologies dans tous les secteurs.

En termes de chiffre, quel a été l’impact des nouvelles technologies sur le business de votre entreprise ?

Premier point, grâce à internet, on trouve et communique plus facilement avec les clients donc il y a des gains de productivité (au niveau du service commercial) qui sont très importants. L’arrivée de la vidéo-conférence a permis de gagner en productivité et réduire les voyages. On peut aussi envoyer facilement des photos, des vidéos, des fichiers très importants grâce aux services de messagerie sur les téléphones portables : c’était encore impossible il y a 10 ans.

Lorsque nous sommes passés de l’électrotechnique et l’électronique, les prix des produits, les gains de compétitivité sur 15 ans ont été de plus de 50 %. Si nous n’avions pas embrassé les mutations technologiques, nous ne serions plus là pour en parler. Qui plus est, dans cette industrie 4.0 qui démarre, l’écosystème de service qu’il va falloir construire autour de tous les produits physiques va de nouveau permettre de retrouver des gains de productivité qu’on pourra redonner à nos clients. Grace à la connectivité, nous allons avoir une relation plus proche avec nos clients, nous allons pouvoir mieux les conseiller et les aider à distance. Aujourd’hui, partout dans le monde, les besoins en numérique s’envolent dans tous les secteurs. Si le Togo pousse cette industrie du numérique, il sera surement très percutant. Il ne faut donc pas attendre, il faut miser sur l’éducation et sur l’information parce qu’il y a beaucoup de nouveaux métiers qui arrivent.

L’actualité au Togo, c’est le Plan national de développement (PND) qui vise sérieusement l’émergence du Togo à tous les niveaux. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Quand un pays a la chance d’avoir une vision de cette envergure, c’est une bonne chose. Ce que je vois, c’est qu’en trois (03) ans, le pays a progressé. Dans dix (10) ans, le pays fera un grand pas en avant. Pour être honnête, je ne m’attendais pas à tous ces changements positifs. La stabilité et la capacité à projeter un pays avec des réformes sur la durée, ça fait du Togo un pays aux atouts énormes avec un avenir enthousiasmant. Je pense que le PND a dû, à mon avis, être pensé avec intelligence et expérience. J’espère qu’il sera déroulé positivement et qu’un grand nombre de Togolais en profitera. ça fera une croissance du PIB très importante qui permettra de financer le développement des infrastructures aussi bien physiques qu’intellectuelles avec des écoles, des routes etc. J’ai tout de même un regret, je trouve que le tourisme n’est pas assez développé au Togo. C’est un point sur lequel le Togo peut avancer. Il faut capitaliser sur ce secteur pour faire venir des touristes du monde entier mais, Rome ne s’est pas construite en un jour.
Comptez-vous éventuellement vous installer ici ?

GYS souhaite avoir une antenne dans la sous-région à moyen terme. Je ferai un prochain tour en Afrique de l’Ouest d’ici 18 à 24 mois et si on décide de l’installer, il y aurait beaucoup de sens à s’installer à Lomé, à côté du Port pour bénéficier de cette gigantesque infrastructure qui n’est pas loin du Ghana, du Bénin, du Burkina, du Nigeria et de la Côte d’Ivoire.

Êtes-vous déjà installés dans certains pays africains ?

En Afrique, nous avons un collaborateur au Maroc et nous avons coupé pour notre service commercial le continent en 6 sous-régions. Il y a le Maghreb, l’Afrique du nord-est, l’Afrique de l’Ouest, l’Afrique de l’Est, l’Afrique centrale et l’Afrique du Sud. En Afrique de l’Ouest, le Togo est une très bonne option. En Afrique de l’Est, ça sera peut-être le Kenya ou la Tanzanie.

Quels sont les projets qui tiennent à cœur GYS à court et moyen terme ?

A court terme, nous devons continuer à investir et nous structurer en Europe qui est notre marché historique. A moyen terme, nous devons avancer en parallèle sur les Etats Unis et sur notre vision africaine parce que l’Afrique est un continent à forte expansion démographique.

Par ailleurs, j’ai lu sur internet que vous aviez été décoré par le Premier Ministre français de l’Ordre National du Mérite en France, la semaine dernière, je tenais à vous en féliciter.

Merci!

GYS est le premier acteur européen. Elle dispose de la plus grande usine européenne. Elle fabrique près de 2000 machines par jour. Ce qui offre la possibilité de commencer par développer des technologies pour que les machines commencent à communiquer. Dans le monde, GYS emploie plus de 700 personnes. Cette année, l’entreprise espère dépasser les 100 millions d’euro de chiffres d’affaires. Alors qu’Il y a vingt ans, il était à 4 ou 5 millions d’euro