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Trafic des faux médicaments en Afrique : Une véritable urgence africaine !

Un enfant recevant une injection (Crédit photo Jérôme Delay. juillet 2016 en RDC)

 

Le Togo, en collaboration avec la Fondation Brazzaville, a réuni en janvier 2020, des Etats africains autour d’un sommet sur les faux médicaments. A l’initiative du Togo, ce sommet, premier du genre, a rassemblé des chefs d’Etat africains afin de mener des réflexions sur l’exponentiel trafic de faux médicaments et de signer l’accord international « Initiative de Lomé » pour prendre des mesures coercitives contre les responsables. Quelles sont les réalités sous les lesquelles croupit l’Afrique en matière de faux médicaments, surtout en cette période de crise sanitaire de coronavirus où le monde est à la quête de tout remède ?

Congo-Brazzaville, Ouganda, Niger, Sénégal, Ghana, Gambie, Togo, sont entre autres Etats qui ont pris part à ce sommet de lutte contre les faux médicaments. Lequel sommet vient à point nommé face à plus de 100 000 morts par an en Afrique à cause des faux médicaments, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS)

Faux médicaments, une réalité constatée au Togo

Etalage de diverses sortes de faux médicaments

Après avoir enchaîné un paludisme et une typhoïde, Ayawo Hiévi pensait être au bout de ses peines grâce aux médicaments prescrits par un médecin de Lomé. Mais ce Togolais ne se doutait pas que le traitement serait pire encore et qu’il perdrait l’usage de ses reins. C’était en 2015, dans un petit centre médical de son quartier. “Après quatre jours de soins, j’ai commencé à sentir des douleurs dans le ventre“, explique à l’AFP le couturier de 52 ans. Deux semaines plus tard, il a dû être hospitalisé en urgence au CHU de Lomé.

Lire également : L’initiative de Lomé est lancée

« La quinine et l’antibiotique utilisés pour me soigner dans le cabinet médical étaient de faux médicaments et ont abîmé mes reins ». Ayawo souffre aujourd’hui d’insuffisance rénale chronique et doit se rendre régulièrement à l’hôpital pour y faire des dialyses. « Mes activités sont totalement paralysées, car je ne suis plus en bonne santé pour exercer mon métier », explique-t-il avec rancœur. « Psychologiquement aussi, je vous avoue que je souffre ». En Afrique, faute de législation spécifique, le trafic de faux médicaments est souvent considéré comme un simple délit de contrefaçon, les peines atteignent quelques mois d’emprisonnement tout au plus. Si ce phénomène existe dans le monde entier, 42% des faux médicaments saisis depuis 2013 l’ont été sur le continent africain, où la faiblesse des systèmes de santé et la pauvreté ont favorisé, plus qu’ailleurs, l’émergence d’un marché parallèle. Le Togo est, par ailleurs, un des pays pionniers à avoir modifié son code pénal dès 2015. La peine encourue par les trafiquants y est désormais de 20 ans de prison et de 50 millions de francs CFA d’amende.

 

Flux des faux médicaments, ce marché malheureusement fructueux

Aperçu du présidium du sommet avec Faure Gnassingbé (au milieu)

A Lomé, à Cotonou au Bénin ou à Lagos au Nigeria, la plupart des médicaments sont écoulés sur les marchés en plein air, souvent sur des bâches en plastiques posées au sol. On y trouve toutes sortes de remèdes, des antidouleurs classiques aux antipaludéens en passant par les antibiotiques. Les médicaments vendus dans la rue sont généralement deux fois moins chers que dans les pharmacies, davantage contrôlées et obligées de s’approvisionner chez des fournisseurs agréés par le ministère de la Santé.

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« Il est très difficile de tracer les faux médicaments vendus dans la rue », explique à l’AFP le Dr Innocent Koundé Kpéto, président de l’Ordre national des pharmaciens du Togo. « Les pays qui sont mentionnés sur les boîtes, souvent ne sont pas les pays de provenance de ces médicaments. Les fabricants brouillent les pistes pour ne pas être identifiés ». On estime qu’en Afrique, entre 30 et 60% des médicaments mis sur le marché sont faux, et proviennent en premier lieu de Chine et d’Inde, selon le Dr Kpéto.

Des plaques tournantes du trafic ont été démantelées, comme le célèbre marché Adjégounlè à Cotonou, une des principales portes d’entrée des faux médicaments en Afrique. En juillet, 67,8 tonnes de produits pharmaceutiques contrefaits, saisis entre juin 2018 et juin 2019, ont été brûlés à Lomé. Une saisie record de 200 tonnes de faux médicaments a été réalisée mi-novembre à Abidjan par la gendarmerie ivoirienne et quatre suspects, dont un ressortissant chinois, ont été arrêtés. Mais malgré ces efforts récents, les saisies montrent que «le phénomène reste important » et implique «des réseaux criminels très organisés» selon le Dr Kpéto. La Fédération internationale de l’industrie du médicament (FIIM) estime qu’un investissement de 1.000 dollars peut générer 500.000 dollars de profits, ce qui rendrait les faux médicaments plus rentables que la plupart des stupéfiants.

Allier le Nigeria à cette bataille

Tant que le Nigeria, vaste marché de 200 millions d’habitants et première destination des produits contrefaits en Afrique, ne rejoindra pas les efforts déployés par ses voisins, la lutte contre ce fléau restera anecdotique. En effet, le tiers des 126 millions de faux médicaments saisis dans seize ports africains lors d’une opération de l’Organisation mondiale des douanes en septembre 2016, était destiné au géant anglophone. Vivian Nwakah a fondé en 2017 Medsaf, une start-up visant à garantir la traçabilité des produits pharmaceutiques locaux ou importés de leur lieu de fabrication jusqu’au consommateur final dans un pays qui compte des dizaines de milliers de points de vente plus ou moins informels. “Le Nigeria n’a pas de circuit de distribution fiable et centralisé”, explique-t-elle. “Un même hôpital doit parfois commander des produits à 30 ou 40 fournisseurs différents, comment voulez-vous qu’il s’en sorte ?” Résultat, les faux médicaments inondent non seulement les marchés mais aussi les pharmacies et les hôpitaux, parfois à leur insu : des médicaments expirés, sous-dosés, comportant des molécules toxiques ou encore conservés des semaines à de très hautes températures dans les ports. Medsaf se pose en sentinelle : elle assure déjà le contrôle qualité de milliers de produits pour plus de 130 hôpitaux et pharmacies à travers le suivi scrupuleux d’un produit via son numéro d’enregistrement officiel, sa date d’expiration, ou ses conditions de stockage. «La technologie peut résoudre la plupart des problèmes liés aux faux médicaments », veut croire la jeune femme. « Les gens meurent pour rien. Nous pouvons changer ça ».

Source : AFP

 

« Il est temps d’agir ! C’est une ardente obligation », dixit Faure Gnassingbé 

Faure Gnassingbé, président du Togo

Faure Gnassingbé, président du pays organisateur et hôte du sommet, n’a pas manqué, lors de son discours, d’exprimer sa volonté de lutte, tout en incitant des pays d’Afrique à s’allier à cette cause.

« Depuis des années, un drame humanitaire se déroule sous nos yeux dans l’indifférence ou, pire, dans l’ignorance de la communauté internationale ; une urgence sanitaire qui ne dit pas son nom et dont personne, ou presque, ne parle jamais. Cette catastrophe touche principalement l’Afrique : le trafic de faux médicaments. Il est temps d’agir ! C’est une ardente obligation. D’abord parce que les victimes se comptent par centaines de milliers chaque année, et que beaucoup d’enfants sont concernés. Ensuite, parce que ce trafic ne cesse de croître, le mal progresse et s’étend partout. Une nécessité, aussi, parce que ce trafic est l’une des sources du financement de la criminalité internationale, notamment du terrorisme, qui fait de trop nombreuses victimes en Afrique mais aussi à l’échelle de la planète. Oui, le trafic de produits médicaux de qualité inférieure et falsifiés est un scandale humanitaire qui se déroule chaque jour ; il touche des millions de personnes, soit indirectement parce que ces médicaments ne soignent pas ceux qui croient se soigner, soit directement parce que les produits utilisés falsifiés tuent », dixit Faure Gnassingbé.

Voir aussi : Lancement de l’Initiative de Lomé sur le trafic des faux médicaments

En effet, selon les experts, environ 10 % des produits pharmaceutiques vendus dans le monde seraient falsifiés. Sur notre continent, la situation est nettement pire, puisque ce taux atteindrait 60 % dans certaines régions. La conséquence directe de ces chiffres épouvantables est que, chaque année, plus de 120 000 enfants de moins de cinq ans en meurent. « C’est un drame humain insoutenable, qui se déroule quotidiennement sous les yeux du monde entier. Les présidents de six pays d’Afrique – de la République du Congo, du Ghana, du Niger, de l’Ouganda, du Sénégal et moi-même – avons décidé de lancer une initiative africaine pour changer la donne en Afrique. Dans la prolongation du Programme de développement durable à l’horizon 2030, adopté par les Nations unies le 25 septembre 2015, nous avons décidé d’agir concrètement pour lutter contre ce trafic et assurer à nos citoyens un accès à des médicaments sûrs. Agir signifie que nous allons, dans le cadre d’un accord intergouvernemental qui nous engage, criminaliser le trafic de produits médicaux de qualité inférieure et falsifiés », a poursuivi le président togolais.

Décidément, il s’agit d’attaquer le mal à la racine et d’assécher les filières de distribution de ces produits dangereux voire mortels. Plus que tout, il faut que les populations aient un accès aux médicaments, mais tout s’assurant qu’il faut en parallèle éradiquer l’approvisionnement en produits médicaux falsifiés. Savoir que des mères iront acheter des médicaments qui tueront leurs enfants est insoutenable. Savoir qu’un groupe terroriste se finance en écoulant ces produits est inadmissible.

« Ce trafic doit être puni de sanctions pénales très sévères. Notre détermination est sans faille et c’est la raison pour laquelle notre initiative n’est qu’un début. Nous allons tout faire pour encourager d’autres États à se joindre à cette initiative. Nous comptons sur la Fondation Brazzaville pour poursuivre ses efforts dans la lutte contre ce trafic et, entre autres, jouer un rôle de soutien et de suivi dans cette initiative. Il s’agit aussi pour nous d’alerter les décideurs internationaux et l’opinion publique du monde entier pour prendre à bras-le-corps ce combat, d’impliquer tous les acteurs possibles, de coordonner les actions des ONG, des entreprises, des organisations internationales et des États pour que ce drame humain cesse enfin », a exhorté Faure Gnassingbé, réélu président du Togo à l’issue des résultats provisoires de l’élection présidentielle de 2020.

 

Réalisé par Attipoe Edem Kodjo