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Interview avec Dr Tindjo Djagri sur les récents cas de suicides au Togo : «Il est important de savoir les principales méthodes utilisées pour se suicider pour des stratégies de prévention»

Si le suicide est l’acte qui consiste à se donner volontairement la mort, il faut noter que ses causes sont variables de même que les moyens pour y parvenir. Ces derniers temps, ce phénomène tend à se multiplier au Togo, ce qui pousse scientifiques, hommes de médias et universitaires à se pencher sur la question. Togo matin a rencontré pour l’occasion, le Dr Tindjo Djagri, sociologue du développement et du changement social, membre de l’Association nationale des sociologues du Togo (Ansot). Il présente un bref aperçu de ce phénomène psychosocial, en dresse les facteurs explicatifs et donne une ébauche de solutions.

 

T.M. : Quelles peuvent être généralement les causes de suicides et les moyens utilisés pour se donner volontairement la mort ?

Dr. T.D. : Selon E. Durkheim (2007, p.223), « le suicide varie en fonction du degré d’intégration des groupes sociaux dont fait partie l’individu. Quand la société est fortement intégrée, elle tient les individus sous sa dépendance, considère qu’ils sont à son service et, par conséquent, ne leur permet pas de disposer d’eux-mêmes à leur fantaisie ».

Dans ce cas on note deux types de suicides : le suicide égoïste qui intervient lors d’un défaut d’intégration. Ici l’individu n’est pas suffisamment rattaché aux autres c’est-à-dire à son groupe d’appartenance (famille, réseaux sociaux, amis etc.).

Pour le suicide altruiste : à l’inverse du suicide égoïste, le suicide altruiste est déterminé par un excès d’intégration. Les individus ne s’appartiennent plus et peuvent en venir à se tuer par devoir (on peut avoir en tête les suicides dans l’armée, dans des sectes, la déception amoureuse, l’échec scolaire etc.).

Outre la question de l’intégration, la régulation est la seconde cause qui permet de rendre compte des taux de suicides enregistrés dans la société.

Au rang de ces suicides on note le suicide anomique qui intervient lors d’un défaut de régulation. Dans ce cas la réglementation et les normes sont moins importantes c’est-à-dire les individus sont moins tenus au respect des normes, leurs conduites sont moins réglées, leurs désirs ne sont plus limités ou cadrés. Ils peuvent éprouver le « mal de l’infini ». Cette situation s’observe souvent lorsque l’Etat n’arrive plus à assurer de manière adéquate la justice sociale, la protection des droits humains surtout les plus vulnérables.

 

Le suicide fataliste quant à lui, intervient dans les cas d’excès de régulation. La vie sociale est extrêmement régulée de telle manière que les marges de manœuvres individuelles sont réduites, le contrôle social et les normes deviennent très rigides. Cette situation est perçue par l’individu comme un état de dictature réduisant sa liberté d’expression et de mouvement.

Par ailleurs la pauvreté est aussi perçue comme un facteur de risque de suicide, puisque au fur et à que l’on monte dans le statut social (bon emploi, situation matrimoniale stable, cercle d’amis important…), le taux de suicide diminue par contre lorsqu’on n’a pas le bien-être ou on descend dans l’échelle sociale (endettement, chômage endurci, exclusion des mécanismes de financement agricole, exclusion des mécanismes de protection sociale, faible revenu ou être sans emploi, inégalité sociale) le taux de suicide augmente.

De plus, la dépression, la dépendance à l’alcool, aux drogues, les conflits, les catastrophes, la violence, la maltraitance, le deuil, le sentiment d’isolement, d’exclusion, d’injustice sociale, de stigmatisation, d’humiliation ou de rejet sont entre autres causes fortement associées au suicide.

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T.M. : Quels sont les signes émotionnels à observer chez les personnes susceptibles de se suicider ?

Dr. T.D. : Les personnes susceptibles de se suicider sont le plus souvent tristes, découragés de la vie, agressifs. Elles ont des troubles de comportement, se mettent en colère pour un rien du tout, ont envie de rester seules et de rédiger leur testament, parlent très souvent de la vie et de Dieu comme dernier rempart. Chez ces personnes on note en outre  la démotivation, une négligence sur le plan hygiène corporel et vestimentaire…

Parmi les méthodes communément utilisées pour se donner volontairement la mort figurent la pendaison, la noyade, l’intoxication et les armes à feu…

 

T.M. : Face à ces causes, comment s’y prendre au niveau de la famille, de la société et de l’Etat pour prévenir les tentatives et réduire ce phénomène social?

Il est important de savoir quelles sont les principales méthodes utilisées pour se suicider pour pouvoir concevoir des stratégies de prévention qui s’avèrent efficaces. Il faut :

  • réduire autour de la personne l’accès aux moyens de se suicider (pesticides, armes à feu, certains médicaments, par exemple);
  • adopter des politiques de lutte contre l’alcoolisme pour réduire l’usage nocif de l’alcool;
  • démystifier le suicide comme n’étant pas la solution mais plutôt un acte « d’aveu de faiblesse et de lâcheté » à travers la stratégie de communication pour un changement de comportement ;
  • multiplier les interventions en milieu scolaire à travers des modules d’enseignement et des campagnes de sensibilisation par les paires;
  • traiter le suicide de façon responsable dans les médias au niveau des milieux urbains et ruraux;
  • revoir l’éducation familiale en s’appuyant sur les valeurs et le développement personnel;
  • assurer le dépistage précoce, le traitement et la prise en charge de personnes souffrant de troubles mentaux et de troubles liés à l’usage de substances psychoactives, de douleurs chroniques ou de détresse émotionnelle aiguë;
  • former les agents de santé non spécialisés, de l’action sociale et des associations à l’évaluation et à la prise en charge des comportements suicidaires dans les communes;
  • assurer le suivi des personnes qui ont fait une tentative de suicide et leur apporter un soutien au niveau communautaire.

Propos recueillis par Alexandre Wémima