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Suspension des municipales au Bénin : la Cour africaine des droits de l’homme a-t-elle franchi le rubicond ?

C’est, à en croire les sources venant du palais de la Marina au Bénin, le rubicond que ne devrait pas franchir la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) sur l’affaire opposant l’homme d’affaires Sébastien Ajavon et l’Etat béninois. Alors qu’elle avait été saisie par l’opposant Sébastien Ajavon en 2019 sur des violations de ses droits fondamentaux lors de sa condamnation, la Cour africaine des droits de l’homme avait instruit l’Etat béninois à verser au requérant, une somme de 36 milliards de francs CFA en guise de dommages et intérêts pour le préjudice subi. Si, depuis ce moment, l’Etat béninois n’avait émis aucun avis contraire à ce jugement, il s’est offusqué cette fois-ci, quand la même Cour vient de lui intimer l’ordre de suspendre l’organisation des élections municipales dont le processus est actuellement en cours. D’où une question : la Cour peut-elle, au-delà de ses compétences de juger de la violation des droits de l’homme et des peuples, faire arrêter tout un processus électoral mis en branle conformément à la Constitution d’un Etat souverain ?

Depuis le 29 mars 2019 que cette Cour a ordonné à l’Etat béninois d’annuler purement et simplement la décision de condamnation à 20 ans d’emprisonnement de Sébastien Avajon pour violation de 11 de ses droits fondamentaux, et de lui verser 36 milliards de francs CFA en guise de dommages et intérêts, rien n’a été fait. Deuxième action tentée par l’opposant, qui estime encore que ses droits auraient été violés par le fait que son parti a été exclu des élections municipales de mai prochain, la Cour en ce sens a également demandé à l’Etat béninois de suspendre l’élection.

A cette étape, il est crucial de se plancher sur la portée d’une telle décision car elle heurte les dispositions de la Constitution béninoise qui dispose d’un certain délai constitutionnel pour dérouler son processus électoral.

Si, suivant son protocole de création, la CADHP a pour vocation de veiller au respect des droits de l’homme et des peuples, est-il aussi légal de suspendre tout un processus qui engage une Nation souveraine toute entière pour cause du non-respect des droits d’un seul individu ?
En d’autres termes, le seul respect des droits fondamentaux de l’opposant Sébastien Ajavon devrait-il mettre un coup d’arrêt au processus électoral de tout le pays actuellement très avancé ? En demandant cette suspension, la CADHP ne mettrait-elle pas les droits de l’opposant Ajavon « au-dessus » de l’intérêt national et de tous les autres intérêts individuels réunis ?

Autant de questions qui méritent réflexions et qui font comprendre la réaction du gouvernement béninois. Car, plutôt que de violer un autre principe fondamental lié au droit électoral constitutionnel, la CADHP ne devrait-elle pas explorer les autres moyens dont elle dispose en cas de réticence d’un Etat, notamment, saisir la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine, sur demande de Sébastien Ajavon, afin que des sanctions soient prises à l’encontre du pays récalcitrant.

Des arrêts rendus mais jamais suivis d’exécution

Mise en place en janvier 2004 pour renforcer le système africain de protection des droits de l’homme, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) est aujourd’hui, le seul organe judiciaire supra étatique de l’Afrique de l’ouest, susceptible de veiller au respect des droits garantis par la Charte africaine et de condamner un Etat pour la violation de ces droits. Pour raisons budgétaires, cette Cour a été fusionnée avec la Cour de justice de l’Union africaine et rendue opérationnelle l’année suivante, avec pour siège Arusha.

Ainsi vue, la CADHP donne son avis sur les questions relatives à la protection des droits de l’homme, elle règle à l’amiable les affaires portées à sa connaissance et peut interpréter ses décisions et les réviser au besoin.

Si à sa création en 2004, le Bénin ne faisait pas partie des tout premiers pays à suivre l’élan de création d’une telle juridiction, il adhèrera pourtant au protocole en août 2014, et va déposer sa déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes émanant des individus et des ONG qu’en février 2016.

3 ans après, le Bénin regretterait-il cette action à en croire ses réticences à exécuter les décisions rendues par la CADHP à propos du cas Sébastien Ajavon ? L’analyse des faits semble bien donner une réponse affirmative à ce sujet. Car aucune des décisions prises à l’encontre de l’Etat béninois n’a été exécutée à ce jour.
D’ailleurs depuis son opérationnalisation, la CADHP s’est bien souvent heurtée à la réticence des Etats à exécuter ses décisions. Seul le Burkina Faso avait, en 2018, adressé un rapport sur l’exécution des décisions rendues. D’où le défi de cette Cour, comme toutes autres institutions qui font face au principe de souveraineté souvent brandi par les Etats.