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Loi portant sur l’utilisation du nucléaire / Interview avec Prof Mazamaesso Joseph Tchaou : « Les rayonnements ionisants sont déjà utilisés dans plusieurs secteurs, mais de façon non contrôlée »

Professeur Mazamaesso Joseph Tchaou

Les députés togolais ont voté le 4 juin 2020, une loi portant sur l’utilisation sûre, sécurisée et pacifique du nucléaire au Togo. Cette loi, bien que nécessaire pour la réglementation de l’usage de cette substance dans plusieurs domaines (y compris médical) a suscité de vives polémiques alimentées par les Organisations de la société civile.  Dans une interview qu’il nous a accordée, le Prof Mazamaesso Joseph Tchaou explique le bien-fondé de la loi votée quelques il y a jours à l’Assemblée nationale, ses implications, dans quels domaines le nucléaire est utilisé au Togo.

 

TM : Le vote par les députés togolais, le 4 juin dernier, de la Loi portant sur l’utilisation sûre, sécurisée et pacifique du nucléaire suscite des interprétations diverses au sein de l’opinion au Togo, que contient au juste cette Loi ?

 Prof Tchaou: Je vais aborder cette question, en m’intéressant directement au fond. Les applications des rayonnements ionisant sont en pleine expansion et procurent d’importants avantages dans de nombreux domaines, à savoir la santé, l’agriculture, l’élevage, l’industrie, les mines, l’eau, l’environnement, le transport et la recherche. Cependant, il existe de potentiels effets nocifs sur les personnes et sur l’environnement qui peuvent résulter d’une utilisation inappropriée, d’accidents ou même d’actes intentionnels, donc d’actes malveillants. Plusieurs de ses applications sont déjà utilisées au Togo, notamment dans le domaine médical avec l’imagerie, dans le domaine industriel, le BTP et le transport maritime.

Cette loi et les textes d’applications qui suivront vont doter le Togo notre pays d’un arsenal juridique qui lui permettra de mieux protéger les togolais et notre environnement. Ce cadre couvre trois domaines principaux à savoir :

  • la sûreté, qui concerne la protection des personnes et de l’environnement contre les risques radiologiques, et la sûreté des installations et des activités donnant lieu à des risques radiologiques ;
  • la sécurité, qui concerne la prévention et la détection des actes malveillants mettant en jeu des matières nucléaires et d’autres substances radioactives ou les installations associées, et l’intervention en pareils cas ;
  • les garanties, qui concernent les mesures visant à s’assurer que le Togo, respecte ses engagements d’utiliser les matières nucléaires à des fins pacifiques seulement (je rappelle que le Togo a déjà signé plusieurs conventions et engagements internationaux en la matière, notamment le traité de non-prolifération nucléaire et celui de Pélindaba visant à faire de l’Afrique une zone exempte d’arme nucléaire).

Que faut-il en réalité entendre par le vocable « Nucléaire » ?

En réalité, dans la présente loi, le vocable nucléaire est utilisé pour désigner tous ce qui peut de façon naturelle ou artificielle  émettre des rayonnements ionisants. Les rayonnements dans le cadre expresse sont dit ionisants car ils émettent des rayons c’est-à-dire une énergie et/ou un faisceau de particules, dont l’énergie est suffisante pour transformer les atomes qu’ils traversent en ions (un atome qui a perdu ou gagné un ou plusieurs électrons). Cela regroupe si on peut être synthétique, les substances radioactives qui peuvent êtres naturelles (uranium, radium, radon…) ou artificielles (californium, américium, plutonium…) et les différents dispositifs et installations qui peuvent émettre des rayonnements ionisants (accélérateurs de particules, générateurs électriques…).

 

Lors du vote, Chantal Yawa Tségan, la présidente de l’Assemblée nationale togolaise a affirmé : «la représentation nationale est convaincue que les technologies nucléaires ont une contribution majeure à apporter à la satisfaction de certains besoins essentiels… ». Concrètement, quels sont selon vous les avantages liés à cette nouvelle Loi pour notre pays ?

Cette loi comme je l’ai dit plus haut vise à doter le Togo d’un cadre juridique nécessaire pour protéger les Togolais et notre environnement des effets potentiellement nuisibles des rayonnements ionisant car quoi qu’on dise l’usage du nucléaire tel qu’il est entendu ici est déjà une réalité au Togo. C’est le premier avantage, la protection.  Le second avantage est celui de permettre désormais au Togo de pouvoir se procurer certaines technologies utilisant les rayonnements ionisants dont le commerce est réglementé sur le plan international, avec des interdictions d’importation dans les pays où il existe un vide juridique en la matière afin d’éviter les détournements vers des usages non autorisés. C’est le cas par exemple des équipements de traitement de cancer, je veux parler de la radiothérapie, qui n’existent pas encore au Togo, pas seulement parce qu’il manque les moyens pour les payer, mais surtout on ne peut les acquérir, les installer et les mettre en service sans un cadre réglementaire et légal devant permettre de s’assurer que ce processus se fera dans le respect des normes internationales en la matière. Tout comme pour nos milliers de patients souffrants de cancer et qui continuent de mourir pour le plus grand nombre ou pour ce qui en ont les moyens de voyager dans d’autres pays pour se faire soigner, voyages devenu même impossible avec la covid-19, plusieurs autres secteurs d’activités sont en attente de pouvoir acquérir des technologies basées sur les sciences et technologies nucléaires afin d’améliorer leur prestations ou production. De façon non exhaustive, on peut parler citer :

  • la santé : radiographie-scanner, radiothérapie et médecine nucléaire, traitement de sang et produits sanguins destinés à la transfusion, stérilisation des matériel et consommables médicaux,
  • l’élevage et l’agriculture : amélioration de la productivité, amélioration de la fertilité des sols, optimisation de l’usage d’eau par les plans, lutte anti vectorielle, lutte contre les zoonoses,
  • l’industrie : contrôle de la qualité des équipements et machines utilisés, mesures de précision,
  • l’eau : évaluation de la qualité et de la quantité des réserves par des techniques isotopiques,
  • Environnement : lutte contre l’érosion côtière, lutte contre la pollution (air, eau, sols)
  • Mines : prospection
  • Infrastructures : essais non destructifs, contrôle de la qualité des ouvrages (ponts, routes, constructions métalliques,…)
  • Sécurité : contrôles aux frontières dans les ports et aéroports.
  • Recherche : dans tous les domaines pertinents de la recherche.

Bien avant l’adoption de cette Loi, quel était l’Etat des lieux de la pratique du Nucléaire dans notre pays et à quels dangers cette pratique non encadrée exposait éventuellement notre pays ?

Les rayonnements ionisants sont déjà utilisés dans plusieurs secteurs, mais de façon non contrôlée. Les risques pour les types d’usages courants au Togo sont essentiellement liés à l’exposition non contrôlée.  En l’absence d’obligation réglementaire ou de normes, les utilisateurs, de façon consciente, mais souvent plutôt par ignorance peuvent s’exposer eux même ou d’autres personnes à des rayonnements trop longtemps ou de trop forte énergie, pouvant entrainer à plus ou moins long terme des effets sur leur santé ou même celle de leurs descendances. C’est le cas par exemple en milieu médical où les installations de centre radiologies et de scanner se multiplient et il faut les encadrer pour éviter que les malades et ceux d’entre nous qui habitent à proximité immédiat de ces centres ne soient pas exposés de façon inappropriée.  Sur l’organisme humain, il faut retenir simplement deux types de conséquences potentielles en fonction de l’intensité et de la durée d’exposition peuvent être observés à savoir :

  • pour de fortes expositions prolongées, il existe des risques immédiats de brûlure et même de décès;
  • à long terme, les risques à craindre en cas d’exposition non contrôlée sont le cancer, la stérilité, les malformations des bébés nés de personnes exposées avant ou pendant la grossesse, etc.

En dehors de ces effets sur l’organisme, il existe un risque sécuritaire de l’usage non contrôlé des sources radioactives. Il s’agit des risques de détournement et de trafic international des substances radioactives, qui peuvent être utilisé pour commettre des attaques terroristes. Notre sous-région est actuellement en proie à des mouvements de ce genre et les Etats doivent contrôler tous les usages. Ces contrôles ne peuvent s’effectuer que dans le cadre de la Loi.

Au regard de la situation du Nucléaire dans la sous-région, est-ce que le Togo accuse un retard ou est plutôt en avance avec cette Loi dont il vient de se doter ?

Dans le domaine de la législation et de la réglementation sur le nucléaire, tous nos pays voisins en disposent déjà, certains depuis plusieurs années. Si nous considérons les pays de l’UEMOA le dernier pays avant le Togo était le Bénin, dont les députés ont voté la Loi nucléaire en 2017. Dans la CEDEAO, à ce jour, après la Togo, il ne reste que le Cap-Vert, la Gambie, la Guinée et la Guinée-Bissau qui sont d’ailleurs assez avancé dans leur processus.  Le Togo s’est donné tout ce temps non seulement pour mieux étudier et adapter la réglementation internationale au cadre national, mais aussi par mesure de précaution, afin de s’inspirer des expériences des uns et des autres.

Que peut-on dire à toutes ces associations et organisations de la Société civile qui se montrent mécontentes après le vote de cette Loi pour les rassurer ?

Le titre de la Loi devrait rassurer, «utilisation sûre, sécurisée et pacifique », de plus le Togo s’est déjà engagé dans plusieurs conventions internationales et affirmé son refus du nucléaire comme instrument de destruction. Il faut comprendre aussi que cette Loi vient pour encadrer les utilisations et éviter que des dérives. Les organisations de la société civil doivent jouer leur rôle qui est de s’assurer que rien ne vienne nuire au bien-être des citoyens et cet objectif est la préoccupation première des Hautes Autorité de notre pays ainsi que des députés qui ont voté cette loi à l’unanimité car il y a plus à gagner à contrôler que de laisser se développer des pratiques qui peuvent être dangereuses.

Un tout dernier mot pour clore cet entretien ?

Remercier le chef de l’Etat, le gouvernement et les députés pour avoir doté le Togo de cet instrument juridique attendu depuis 2012, année de l’adhésion du Togo à l’Agence International de l’Energie Atomique (AIEA). Je voudrais également en tant que médecin, remercier tout particulièrement le ministre de la Santé et de l’Hygiène publique pour avoir porté cette Loi, avec comme moteur, la nécessité de traiter efficacement les milliers de nos compatriotes qui souffrent de cancer surplace au Togo. Vivement que la radiothérapie et la médecine nucléaire deviennent une réalité au Togo.

Propos recueillis par Dieudonné Korolakina

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