Voulez-vous faire couvrir un événement par Togo Matin?

Les effets de la pandémie et des mesures barrières sur le maintien de la qualité des rapports sociaux : l’Association nationale des sociologues du Togo (Ansot) se prononce

Portée sur les fonts baptismaux en mars 2019, l’Association nationale des sociologues du Togo (Ansot) est un creuset de professionnels et d’universitaires ayant la sociologie comme domaine d’intérêt. Association de recherche-actions sur les politiques de développement, l’Ansot estime pour sa part que la pandémie du Covid 19 amène le monde à repenser les modes de vie adoptés et promus jusqu’à présent. Et il urge pour les décideurs, afin d’éviter que l’individualisme n’atteigne son paroxysme, de mettre un accent particulier sur un mécanisme de communication qui prenne en compte la préservation de la qualité des relations humaines et des interactions sociales pour maintenir l’équilibre social que ce soit avant, pendant ou après la maîtrise de cette pandémie.

Depuis quelques semaines, le monde est en train de vivre un changement de comportement dans les pratiques de mesures d’hygiène, de relations humaines et d’interaction sociale dans le cadre de la réduction des risques de contamination du coronavirus.

Les États touchés comme ceux n’ayant pas encore enregistré des cas de victimes de cette pandémie prennent des mesures allant jusqu’au confinement des populations dans leurs maisons pour éviter la propagation à grande vitesse de ce virus, puisque selon la Radio RFI (mars 2020), les recherches se poursuivent avec les laboratoires pour trouver un vaccin, mais cela pourrait prendre du temps.

Face à l’incertitude créée par ce virus et la psychose générale qui s’est installée dans le mental des populations, il n’est pas rare de voir des compatriotes fuir au premier coup d’éternuements dans les files d’attente. D’autres ont même cessé de se serrer la main, se parler en étant très proches.

De nouvelles habitudes ont commencé par s’installer détériorant ainsi les relations humaines et les interactions sociales dans les communautés. On ne peut plus se tenir par la main, prendre un pot ensemble dans les milieux publics, passer un bon temps avec ses amis dans les jardins publics ou la plage…

« Des habitudes vont être prises. Je pense qu’à la fin de la semaine les Parisiennes et les Parisiens auront pris l’habitude de ne plus se serrer la main, de se taper le coude ou de se taper le pied, et de se sourire », déclarait le nouveau ministre français de la Santé, Oliver Véran, le 1er mars 2020.

Le fait de se sourire et se serrer les mains qui entre-temps était une pratique de la vie communautaire, risque d’être perçu dans les communautés aujourd’hui comme un comportement déviant, pour les personnes ne voulant pas s’inscrire dans cette dynamique de restrictions.

On voit donc le monde entrer dans une forme de mutation sociale qui est susceptible d’influer sur les principes et normes qui gouvernent la vie sociale. Les processus de socialisation se voient du coup également affectés.

La psychose généralisée engendrée par cette pandémie exerce déjà un impact négatif sur l’économie mondiale et sur celle des pays en développement puisque cette psychose a entraîné la fermeture des écoles, des universités, des supermarchés, des entreprises, mettant les acteurs en congé technique. Certains employés ont du mal à prendre en charge leur ménage surtout ceux qui sont payés par pointage ou n’ont pas de rémunérations fixes.

Le monde agricole n’est pas en marge des conséquences  néfastes de cette pandémie.  Ce sont les populations rurales déjà pauvres du fait du changement climatique qui subiront plus les impacts négatifs de ce virus.

Avec cette pandémie certaines communautés vont subir des comportements de stigmatisation. Il s’agit des communautés notamment les asiatiques en premier puisque c’est dans ce continent que le premier cas du virus a été détecté, ensuite viennent les occidentaux à l’instar des Italiens, des Français etc.

Le monde risque de tomber dans un individualisme exacerbé avec ce changement  dans les interactions sociales. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles Anne-Marie Moulin, médecin et philosophe, spécialiste des maladies tropicales, contactée par le HuffPost, regrette ce qui se passe et déclare : « Nous vivons dans un monde de virus, pourtant, tout à coup, nous venons d’entrer dans une psychose, une alerte permanente, prévenue et entretenue par les médias. »

A cette allure, l’individualisme pourrait atteindre son paroxysme si la communication médiatique des gouvernants ne prend pas en compte la préservation de la dimension des relations humaines et des interactions pour maintenir l’équilibre social que ce soit avant ou après la maîtrise de la pandémie. Ce qui se passe aujourd’hui ressemble un peu à ce qui s’était passé dans le film “Titanic”. Une fois qu’on est plus dans la raison, on est dans l’instinct et c’est le chacun pour soi. La peur de rater l’occasion, cette anticipation de pénuries, démontre une individualité qui ira à l’encontre de l’instinct grégaire, si l’on sait qu’il est difficile de vivre en autarcie dans une société où la dynamique de groupe détermine le comportement des humains.

Le chacun pour soi va pousser les hommes à ne viser que leur seule protection au détriment des autres, puisque ce que l’on perçoit comme une atteinte portée à notre corps physique nous donne la force et la légitimité de ne plus entrer en contact avec les autres. On achète ou fabrique des masques pour se protéger soi-même oubliant les autres.

Le coronavirus est devenu une épidémie de la peur où chacun peut soupçonner son prochain parce qu’il est difficile de détecter à vue d’œil une personne touchée par ce virus si elle ne manifeste pas les signes.

Avec cette expansion du coronavirus, certaines communautés peuvent faire l’objet d’insultes dans des lieux publics. Elles peuvent être considérées comme des dangers publics vu que leur pays enregistre un fort taux de cas de malades voire de décès.

Cette attitude de paranoïa qui se développe dans le monde va pousser l’humanité dans le sens où autrui est forcément mauvais. Il ne faut pas le toucher, il faut plutôt contre-attaquer avec cette distance de 1 à 2 mètres conseillée comme mesure de protection par les spécialistes de la santé publique.

La peur collective va susciter en nous les humains la volonté de stigmatiser. Cette stigmatisation va être considérée comme un besoin naturel de rechercher le coupable, parce que la peur réduit dans ce cas l’espace de la pensée.

Le monde pourrait assister à un développement de stéréotypes, d’un côté les personnes saines et de l’autre des personnes contaminées considérées comme autrui qu’il faut mettre en quarantaine. Cette stigmatisation sans doute va renforcer l’individualisme et l’effritement des relations sociales.

La grande question que l’on doit se poser aujourd’hui où la psychose est devenue générale, comment réagirons-nous lorsque cet autrui que nous fuyons ou désignons venait à être notre compagne, époux, parents, enfants, collègues… ?

Comment vivre en famille en ces moments si narcissiques ?

Les gouvernements ne doivent pas se limiter à diffuser seulement les mesures de protection mais bâtir un modèle de communication en déconstruisant ce stéréotype qui s’installe dans le mental des populations.

Tout en appelant la population à la vigilance et à la prise des mesures préventives en lavant régulièrement la main avec de l’eau du savon…, la communication doit contribuer à préserver aussi les relations humaines et l’interaction sociale.

Seule la solidarité, principe universel pourra aider ce monde en pleine mutation sociale à relever le défi des pandémies.

Extrait de l’article du TINDJO Djagri, Docteur en Sociologie du Développement et du Changement social.