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Mobilisation sociale à l’épreuve de la riposte contre la Covid-19 : l’Experte en Ingénierie sociale et communication Catherine Noulo-Kmey Djayouri de l’ANSOT livre son analyse à Togo Matin

Catherine Noulo-Kmey Djayouri
«La solidarité à base communautaire a été la première sur le terrain social. En début de la crise et pendant un temps, elle s’est positionnée auprès des populations en substitut puis en complément à l’assistance des agences gouvernementales, les ONG et associations de développement, partenaires traditionnelles des communautés…»

La menace de vivre désormais avec cette nouvelle donne qui intègre le nouveau coronavirus dans nos habitudes de vie est plus qu’évidente. Six mois après le début de cette pandémie, le monde, et surtout l’Afrique peinent à trouver des solutions médicales adaptées de riposte. Le confinement et la distanciation sociale sont difficiles à respecter dans la plupart des pays africains. Aux mesures de bouclage de certaines villes et de couvre-feux prises l’Etat Togolais se joignent des accompagnements multiformes aux groupes cibles les plus vulnérables. Togo Matin est allé à la rencontre de Madame Catherine Djayouri, experte en ingénierie sociale et communication, présidente de l’Association nationale des sociologues du Togo (Ansot). Elle nous livre dans cet entretien son analyse de la gestion de la riposte et les motivations qui ont guidé leur contribution aux fonds de solidarité créé par le gouvernement pour combattre le coronavirus.

TM : On a assisté à un élan de solidarité sans précèdent au sein des populations. Pensez-vous que c’est un phénomène qui peut s’inscrire dans la durée ou juste un feu de paille?

La solidarité est une valeur, un mode de vie des populations africaines. Il y a toujours eu une économie basée sur la solidarité. En l’absence de mécanisme de protection sociale, d’assurance maladie universelle, d’assurance vie, d’allocation familiale universelle, les économies africaines se sont bâties sur l’entraide et la solidarité. Selon les circonstances, elles s’expriment par un soutien direct à un membre de la famille en situation difficile ou par une cotisation au sein d’une mutuelle de ressortissant d’un canton ou d’anciens élèves d’un collège. Les fonds servent à soutenir les membres pour des évènements heureux ou malheureux ou des réjouissances populaires pour renforcer la cohésion entre membres.

La crise de la Covid19 aura connu la formalisation de la générosité publique. Une forme de reconnaissance de la solidarité communautaire. Il s’agit de toutes ces initiatives prises ici et là et qui sont le fait d’individus ou de groupes de personnes au sein d’associations cantonales ou de regroupements de cadres d’une préfecture, d’anciens pensionnaires d’un lycée ou de promotion à la fac… Les actions ont consisté à lever des fonds de leur trésorerie ou par des cotisations parallèles souvent pour acheter et convoyer du matériel, des dispositifs de mesures barrières et de vivres aux populations vulnérables et rendues indigentes du fait de la crise. Elles ont été présentes pour sensibiliser les populations.

Au cours de cette pandémie, cette solidarité à base communautaire a été la première sur le terrain social. En début de la crise et pendant un temps, elle s’est positionnée auprès des populations en substitut puis en complément à l’assistance des agences gouvernementales, les ONG et associations de développement, partenaires traditionnelles des communautés.

Apparemment les populations vulnérables ont été bien servies avant l’arrivée des structures étatiques et des ONG. Quelle est la spécificité de cette forme de solidarité ?

C.D. : Cette forme de solidarité a été spontanée, efficace et efficiente dans sa mise en œuvre. Elle s’est délestée de toute procédure. Elles n’en a d’ailleurs presque pas (sourires). Partant de là, les décisions et actions n’ont pas été astreintes à des cérémonies officielles de signature de convention ou de partenariat entre tel village et ses cadres à Lomé ou sa diaspora. Les gens ne se sont pas posé beaucoup de questions. L’urgence est là. Il faut y aller si tant est qu’on a les moyens de notre politique.

Vous semblez décrire ce qui a motivé la contribution de l’association que vous présidez, Ansot, à contribuer aux fonds de solidarité de lutte contre la Covid19 mis en place par le gouvernement !

C.D. : Vous avez deviné ?

C’est passé à la télé !

C.D. : Effectivement, cette stratégie de communication, celle de rendre publics les dons a contribué à la décision du Bureau exécutif de l’association des sociologues d’inviter les membres à faire un effort pour participer à cette action citoyenne. Le challenge était de réunir 1 million de francs CFA. Nous avons mobilisé au-delà. C’est dire toute l’implication des membres de cette jeune association qui croient en cette initiative spontanée et salutaire.

C’est un message que l’association a voulu lancer ?

« (…) Vu sous son aspect économique, nous sommes dans un schéma de crowdfunding, le financement participatif ou socio financement de la relance économique. »

Bien vu. Si tout le monde, entité morale ou physique, contribuait avec le franc symbolique à l’élan de solidarité nationale, le citoyen aura démontré son attachement aux valeurs humaines de solidarité qui caractérisent l’Afrique et surtout notre pays le Togo. In fine, vu sous son aspect économique, nous sommes dans un schéma de crowdfunding, le financement participatif ou socio financement de la relance économique. Vous devez être au courant de la guéguerre entre économistes sur la dette de l’Afrique. D’aucuns pensent que l’Afrique est surendettée, d’autres disent qu’elle a encore de la marge et que nous sommes simplement sous financés. Les non-initiés que nous sommes, vous et moi, se perdent dans ces discours (sourire).

Et si on coupait court à tout ce débat en autofinançant notre développement ?

Cela paraît simple à dire mais pas impossible à faire, tout au moins à essayer un modèle de financement du développement. Commençons par des projets, pour passer ensuite aux programmes puis aux plans quinquennaux. Le citoyen deviendrait actionnaire d’une entreprise qui est la stratégie nationale de développement. A partir de là, la notion de gouvernance, de transparence, de redevabilité et surtout la célérité dans les prises de décision et dans leur mise en œuvre prendraient tout un autre sens.

Dans l’épisode du don au fonds de solidarité et de relance économique par exemple, Au-delà de l’action citoyenne louable à plusieurs égards je puis vous assurer que cette somme a été réunie en à peine une semaine par une trentaine de membres seulement sur près de 400 membres et sympathisants que nous sommes. Aussitôt réunie, aussitôt déposée. La question qu’on s’est posée pour se lancer est « oui ou non l’action est pertinente pour nous en tant qu’association ? Si elle est pertinente, où trouvons-nous les ressources pour une jeune association comme la nôtre » ? « Sollicitons l’assemblée des membres ». En une semaine le challenge a été relevé et la somme déposée sur le compte dédié.

Ce mécanisme de prise de décisions peut être pérennisé ?

Nous n’avons pas assez de recul pour juger de la pérennisation des acquis de ce mécanisme de prise de décisions et cette forme de gouvernance. Mais il est indéniable que c’est un modèle qui a fonctionné au cours de cette crise et qui en a sauvé beaucoup d’entre de nos concitoyens.

L’histoire nous dira si elle pourra être répliquée pour d’autres actions de développement surtout celles nécessitant une action d’urgence. Mais nous sommes ambitieux et nous croyons en la force mobilisatrice de notre association.

Dans tous les cas le choc émotionnel créé par la pandémie a fait paraître une solidarité sur la base de la transparence au sein d’une communauté. Un modèle de gouvernance endogène très adapté.

Pour revenir au cas de la sensibilisation et de la communication autour de cette pandémie, ne pensez-vous pas, Madame Catherine Djayouri, qu’on en fait un peu trop quand on sait que sous nos tropiques la famine, le sida et le paludisme tuent et continuent par tuer des milliers d’enfants et d’adultes en silence ?

Il ne pouvait en être autrement, sauf aller se réfugier sur une île déserte et là encore (sourires). Il faut reconnaître que par des mécanismes d’adaptation et de résilience de l’imaginaire collectif, il y a des maladies ou épidémie ou des faits de société qui finissent par être intégrés et le vécu des populations comme une normalité. C’est ce à quoi on assiste avec la faim dans le monde, le paludisme, le sida, la tuberculose, le viol des femmes, le tribalisme, la violation des droits de L’homme, la rareté de l’eau. Toutes ces violations à la Déclaration des droits des personnes et des peuples sur lesquels tous les Etats ont fondé leur constitution.

Si nous faisons abstraction de toute considération complotiste et expansionniste, nous constatons que l’épisode du Covid bénéficie de la vulgarisation et de la démocratisation des technologies de l’information et de la communication. Les TIC ont rendu accessibles les messages véhiculés par les médias et facilités par les réseaux sociaux. Aujourd’hui, tout s’amplifie. Tout le monde dispose d’outils d’amplification de sa pensée et a la possibilité de le faire parvenir au plus profond des campagnes et des hameaux. L’information telle que distillée est accessible dans sa forme originelle que celle la plus raffinée. Elle est servie de la même manière au professeur d’université qu’au petit berger du fond de sa savane.

Donc dire qu’on en fait un peu trop pour cette pandémie, je dirai non. C’est dans l’ordre normal des choses. Qu’il soit mythe ou une réalité, aucun gouvernement au monde ne pouvait prendre le risque de faire fi de ce que le monde médical et scientifique a su démontrer comme étant une pandémie.  La panique au sein des populations prouve à suffisance la conviction que ce mal a été pris comme une menace pour la survie de l’espèce humaine.

Chez nous au Togo des citoyens, des organisations de la société civile, le citoyen lambda ont levé la voix pour demander au chef de l’Etat de « parler ». Une forme de l’expression du pouvoir du peuple. Un peuple en émoi qui se sent comme perdu dans les eaux troubles et qui demande à son père de dire un mot. Comme une prière vers le ciel.

Et les conséquences économiques et sociales ont-elles l’ampleur qu’on leur donne selon vous ?

 « De la revendeuse de bouillie dans une école qui se retrouve du jour au lendemain sans activité du fait de la fermeture des écoles, en passant par la société de transport qui ne pouvait plus circuler du fait du bouclage des villes, à l’heure du bilan à mi-parcours, l’addition est salée pour certains secteurs d’activités. »

 C.D. : Ce n’est pas un mythe. Les conséquences sont réelles. Nous partons sur du factuel. On peut constater les effets induits de cette crise. Quant aux conséquences, elles relèveront d’études (à moyenne ou grande échelle) qui demandent un peu de recul pour des analyses pertinentes. Il est à noter que le monde scientifique a été très prolifique sur cette période qui ne semble pas prête de finir. Toute science confondue, de la médecine en passant par l’économie et la sociologie, le monde académique et scientifique a servi une multitude de rapports d’études à une communauté avertie ou non. Le public a eu droit à un foisonnement de rapports, de tribune, de sondage d’opinions, de panel de discussion par visioconférence, aux prévisions allant des plus optimistes au plus alarmistes sur le monde d’après la Covid 19.

Pour des raisons d’intérêt national, les Etats dans leur rôle régalien, ont astreint leurs populations à des règles rigoureuses qui ont réduit de manière drastique la mobilité des personnes et parfois des biens. Ceci a forcément eu un impact sur l’activité des hommes et des femmes, leurs revenus, leurs fonctions sociétales et familiales.

Les économies des pays africains sont animées à 85% par le secteur informel qui de par sa typologie est fait de 60% de commerce et de distribution. On va du simple au double en termes d’effets induits de cette situation. Les conséquences ont été vécues de manière assez disproportionnelle. De la revendeuse de bouillie dans une école qui se retrouve du jour au lendemain sans activité du fait de la fermeture des écoles, en passant par la société de transport qui ne pouvait plus circuler du fait du bouclage des villes, à l’heure du bilan à mi-parcours, l’addition est salée pour certains secteurs d’activités.

Cette crise n’a eu que des conséquences négatives ?

 « Dans notre pays l’artisanat qui appelait à une reconnaissance dans le paysage des métiers porteurs s’est vu débordé de travail. Il a inventé ou mis à jour le fruit de sa créativité. Il a été mobilisé pour la fabrication de dispositifs de lave-mains, de bavettes, ces outils et objets rendus célèbres par cette crise. »

 Il n’y a pas eu que du mauvais. Toute crise a connu son pan de révolution dans tous les domaines. Il y aura un avant et après Covid-19 comme il y en a eu pour les deux guerres mondiales, le crash boursier de 1929, les indépendances, la bataille de Kamina, et la crise récente des subprimes… Ces bouleversements deviennent des références pour le psychique et le vécu des hommes. Ces derniers créent, inventent des technologies, se réinventent, adoptent des modes de vie nouvelles pour survivre ou vivre dans ce nouvel ordre qui s’impose à eux.

La crise de la Covid-19 respecte ce cycle. D’aucuns appelleront cet instinct de survie, de la résilience d’autres le nommeront des opportunités. En effet, les médecins et le corps soignant se sont retrouvés héros malgré eux. Dans notre pays l’artisanat qui appelait à une reconnaissance dans le paysage des métiers porteurs s’est vu débordé de travail. Il a inventé ou mis à jour le fruit de sa créativité. Il a été mobilisé pour la fabrication de dispositifs de lave-mains, de bavettes, ces outils et objets rendus célèbres par cette crise. Les firmes de fabrications de produit cosmétiques ont dû transformer des branches de leurs activités pour les convertir à la produire exclusivement du gel hydro alcoolique. Qu’on ne s’y trompe pas, ceci n’est pas de l’effort de guerre. C’est du business. Le but ultime d’une entreprise c’est de faire des bénéfices, il faut le rappeler.

Fonds de solidarité et de relance économique, visio-conférences sur les thématiques de relance des économies africaines foisonnent. Mais les gouvernements n’oublient-ils pas le côté social ?

 « Des traditions ancestrales ont été priées de s’adapter à l’état d’urgence sanitaire et sécuritaire. Par note ministérielle, des sacro-saintes fêtes traditionnelles ont été suspendues ou réduites au strict minimum pour les rituels traditionnels et l’intimité familiale pour les rites funèbres. C’est vous dire que la Covid-19 va au-delà de l’aspect économique pour toucher le ventre même du psychique collectif. Ces célébrations à travers lesquelles des individus ou groupes d’individus renouvellent leur appartenance à une communauté donnée sont des lieux de retrouvailles d’un peuple et sa diaspora »

 

C.D. : La crise du coronavirus a été au-delà de tout, une crise sociale. Le tissu social et communautaire a été impacté. Les règles barrières édictées par les autorités sanitaires ont amené à la suspension provisoire des cérémonies aux défunts dans ce qu’elles avaient d’ostentatoire. Des traditions ancestrales ont été priées de s’adapter à l’état d’urgence sanitaire et sécuritaire. Par note ministérielle, des sacro-saintes fêtes traditionnelles ont été suspendues ou réduites au strict minimum pour les rituels traditionnels et l’intimité familiale pour les rites funèbres. C’est vous dire que la Covid-19 va au-delà de l’aspect économique pour toucher le ventre même du psychique collectif. Ces célébrations à travers lesquelles des individus ou groupes d’individus renouvellent leur appartenance à une communauté donnée sont des lieux de retrouvailles d’un peuple et sa diaspora. C’est pour eux l’occasion de renforcer leur identité et réitérer leur attachement à celle-ci. Le manque à gagner pour les annonceurs au cours de ces évènements est un fait. Les pertes pour les économies locales sont réelles.

Revenons un peu à vous pour terminer cet entretien. Vous avez une vie associative assez comblée… qu’est-ce qui vous motive tant ?

C.D. : (Rires) A l’heure des réseaux sociaux, appartenir à un regroupement n’est pas difficile. Un clic et c’est bon !

Plus sérieux, je ne crois pas en l’individu dans la définition absolue du terme. Je crois aux hommes et en leur capacité à interagir dans une dynamique à créer un monde, s’ils se sentent bien. J’ai eu la chance d’étudier la sociologie, la science des faits sociaux. Celle qui considère l’homme dans un ensemble, un groupe d’individus qui interagissent. Seul ou isolé, Nul ne peut rien. Il faut parfois prendre le risque de sortir de son confort et aller à la rencontre des gens au sein d’une communauté, d’une équipe, d’une entreprise, d’une cellule de réflexion, accepter livrer ce qu’on a pour recevoir en abondance en retour. Je lis et suis un intellectuel qui dit et je le paraphrase, partager la connaissance ou tout au moins participer à la vie de la cité en livrant son avis, son engagement, ses convictions, c’est la seule chose qui nous enrichit après qu’on a partagé.

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