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Bénin/Suppression du droit de grève

Droit constitutionnel garanti par la plupart des Constitutions démocratiques dans le monde, la liberté de manifestation est, ces derniers temps, objet de discorde entre mouvance au pouvoir et les syndicats du Bénin. Evoquant des choix d’ordre économique et politique pour redresser le Bénin, Patrice Talon supprime le droit de grève à certains corps de métiers, portant sérieusement atteinte à l’article 31 de la Constitution du Bénin selon les juges de la Cour constitutionnelle.

Le bras de fer est donc entamé entre la mouvance au pouvoir et les juges de la Cour constitutionnelle qui, par un arrêt de la cour rendu publique ce vendredi 19 janvier 2018, a déclaré non-conforme à la Constitution le projet de loi sur le retrait du droit de grève. Selon les 7 juges de cette cour, l’article 31 de la Constitution reconnaît et garantit le droit de grève dans les conditions définies par la loi. Et il n’appartient pas au législateur d’interdire ce droit, mais de définir les conditions de son exercice.Les juges expliquent que le droit de grève, bien que fondamental, n’est pas absolu. Et que le Parlement peut le limiter pour assurer la continuité du service public, la satisfaction de l’intérêt général et de la sécurité publique.

Sauvegarder la liberté de manifester au-delà des choix politiques

Descendre dans la rue pour exprimer une revendication, un refus, une émotion, c’est exercer un droit qui, dans une démocratie, va de soi. C’est un droit inhérent à la qualité de citoyen. Et le restreindre à en supprimer l’exercice, c’est assurément entamer une croisade contre les principes acquis de la démocratie. Talon en fait les frais. Et il est bien parti pour être rangé dans le box des jeunes présidents pourfendeurs de la démocratie. Lui dont l’élection à la magistrature suprême en 2016 avait suscité espoir et courage au peuple béninois, et au-delà, à la jeunesse africaine fatiguée des régimes stériles qui ont échoué à donner à la jeunesse les armes de son épanouissement. Lui qui, incarnant l’élan de cette « rupture », avait jeté les bases d’une démocratie jamais égalée dans le monde avec comme soubassement, le mandat unique à la présidence de la République.

Limiter un droit constitutionnellement garanti est une habilité qui ne souffre d’aucune contestation ; mais vouloir le supprimer au nom des « choix politiques et économiques, au nom de la stabilité sociopolitique » c’est engager un bras de fer avec la Constitution elle-même et au moment où l’on ne s’est pas assuré de la légitimité nécessaire pour avoir les moyens de sa politique, c’est cette légitimité qui risque de prendre un coup.

Aujourd’hui, Talon fait face à la plus grande fronde sociale jamais rencontrée au Bénin. 7 syndicats sont en grève. Peut-être est-ce l’une des raisons qui auraient motivé la décision de la Cour constitutionnelle ce vendredi 19 janvier 2018 ?

L’autre « bourde » de Talon ?

Depuis son arrivée à la tête de l’Etat en avril 2016, Patrice Talon a engagé de nombreuses réformes pour transformer le pays et il veut aller vite. Ce désir de célérité devrait se mouvoir à l’aune de l’environnement sociale et politique du pays. Et Talon semble faire feu de tout bois pour s’imposer, et imprimer une nouvelle dynamique de développement pour son pays. Dans cette politique de redressement que le président Talon appelle de tous ses vœux, il y a des limites à ne pas franchir. Et c’est peut-être là la différence entre gérer une entreprise de coton et gérer tout un pays. La rigueur doit trouver sa juste mesure avec le « politiquement correcte ». L’intérêt supérieur de la Nation ne devrait s’interpréter que dans le faisceau d’indices laissés par les juges de la Cour constitutionnelle.

Les bourdes, Talon ne fait que les enchainer. Le revers subit à l’Assemblée nationale, qui lui a refusé le mandat unique, devrait en principe lui servir de leçon que même s’il a été élu avec une majorité confortable au deuxième tour de la présidentielle, sa popularité souffre actuellement de consistance. A cela s’est ajouté la cavalcade politique contre son ancien allié Sébastien Ajavon, dans une affaire de cocaïne qui a fini par laisser un goût de déception dans la gorge des béninois. Une autre affaire où le président Talon aurait dû faire preuve de sagesse politique envers un « allié », selon certains observateurs.

Alexandre Wémima