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Côte d’Ivoire/ 3ème mandat ou 1er mandat ? Entre légalité et légitimité de la décision, Ouattara face à l’histoire

Alassane Ouattara
« J’ai décidé de répondre favorablement à l’appel de mes concitoyens me demandant d’être candidat… Je suis donc candidat à l’élection présidentielle du 31 octobre 2020 ». Ces propos tenus par le président Alassane Ouattara, la veille du 60ème anniversaire de l’indépendance de la Côte d’Ivoire ont donné un goût particulier à la célébration. Tirant l’essentiel de ses arguments de la situation exceptionnelle que traverse le pays depuis le décès de son dauphin Amadou Gon Coulibaly, le président Alassane Ouattara crée la surprise et relance le vieux débat sur la rétroactivité de la nouvelle loi sur l’ancienne.

Dans une allocution radio-télévisée jeudi 6 août 2020, le président Alassane Ouattara a annoncé sa décision de se porter à nouveau candidat à la présidentielle du 31 octobre prochain. Vive émotion du côté des partisans du RHDP qui estiment légale cette décision, colère du côté de l’opposition qui point du doigt plutôt son illégalité. Devenu le débat du moment, les analyses vont bon train et opposent la légalité de ce 3ème mandat à sa légitimité.

 

3ème mandat ou 1er mandat ? Que disent les articles 55 et 183 de la Constitution de 2016 ?

Au RHDP naturellement, la Côte d’Ivoire est rentrée, depuis l’adoption de la nouvelle Constitution en 2016, dans une nouvelle République. La loi ne disposant que pour l’avenir, l’on estime que l’article 55 ne peut produire des effets sur le mandat en cours du président Ouattara.

Côte d’Ivoire/RHDP : Au Rassemblement des houphouëtistes, l’heure est à la défection

Pour le directeur exécutif du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), la candidature du président à un troisième mandat ne pose aucun problème, car il s’agit en réalité du tout premier. « Nous avons une nouvelle Constitution qui a été adoptée en novembre 2016 et la loi ne dispose que pour l’avenir. Elle n’a d’effet rétroactif que si cela est dit et clairement indiqué. (…). La République ne peut pas être dirigée par deux Constitutions distinctes. La nouvelle Constitution abroge l’ancienne, donc M. Alassane Ouattara peut bel et bien être candidat. C’est la première élection de la 3ème République », a indiqué Adama Bictogo.

Et pourtant, les mêmes rédacteurs de cette nouvelle Constitution avaient prévu, à l’article 183 relative à la continuité législative que « La législation actuellement en vigueur en Côte d’Ivoire reste applicable, sauf l’intervention de textes nouveaux, en ce qu’elle n’a rien de contraire à la présente Constitution ».

Se posent ainsi deux questions : l’article 55 de la nouvelle Constitution de 2016 est-elle contraire à l’article 35 de l’ancienne Constitution de 2000 ? Si le nouvel article 55 dit la même chose, en quoi la nouvelle Constitution remet les compteurs à zéro, comme l’affirme Adama Bictogo ?

Interrogé sur la question, un constitutionnaliste affirme que « ce n’est pas parce qu’il y a une nouvelle Constitution, voire une nouvelle République que tout ce qui existait avant sera caduc… ». Suivant le principe de la continuité législative tirée de l’article 183 de la Constitution ivoirienne, le président de la République, qui est à son deuxième et dernier mandat, ne peut en briguer un autre, dès lors qu’aucun nouveau texte ne fait expressément obstacle à son application.

La nouvelle Constitution de la Côte d’Ivoire

Dans cet imbroglio juridico-constitutionnel opposant l’article 55 et l’article 183 de la Constitution ivoirienne de 2016, le plus surprenant reste la position des opposants, avec au front, le président du PDCI, Henri Konan Bédié. S’il est le premier, en effet, à rappeler à Alassane Ouattara l’illégalité d’un nouveau mandat en se fondant sur les dispositions des articles 55 et 183 de la Constitution, il oublie justement que c’est cette nouvelle Constitution, qui a sauté le verrou de la limitation de l’âge, lui permettant ainsi de faire acte de candidature.

 

 

La rétroactivité de l’article 55 et la limite d’âge, le couteau à double tranchant ?

Contrairement à l’article 35 ancien qui limitait l’âge à 75 ans, pour le président de la République ivoirienne, l’article 55 ne dit plus rien sur ce sujet. Si l’on suit la logique des opposants à une nouvelle candidature du président Ouattara, arguant des dispositions de l’article 183 de la nouvelle Constitution, cela revient à éliminer d’office Alassane Ouattara, 78 ans, Laurent Gbagbo, 77 ans, et Henri Konan Bédié, 86 ans.
Et pourtant, tous, ou presque, estiment leur candidature autorisée, au moment où ils ne reconnaissent pas cette habileté au président Ouattara. N’est-ce pas là l’ironie du débat autour de l’effet rétroactif de l’article 55 qui présente un couteau à double tranchant ?

Bédié, Gbagbo et Ouattara

Adama Bictogo, le directeur exécutif du parti présidentiel RHDP le précise d’ailleurs : « (…). C’est d’ailleurs en vertu de l’application de ce principe de non-rétroactivité que les personnes âgées de plus de 75 ans peuvent désormais se porter candidates. Sinon le président Bédié n’aurait pas pu être candidat. »

Comment peut-on se fonder sur des dispositions de la nouvelle Constitution pour interdire à un président de se représenter et en même temps se fonder sur les avantages de cette même disposition pour s’autoriser une candidature ? C’est là tout l’intérêt de ce débat autour des effets rétroactifs de la nouvelle loi et qui appelle une clarification.

 Côte d’Ivoire / Ce sera « Alassane Ouattara pour éviter la guerre des dauphins », selon Adama Bictogo

Au-delà de tout débat constitutionnel, la volte-face du président Ouattara, saluée entre-temps par les partenaires risque de plonger la Côte d’Ivoire dans l’abime d’une guerre civile. Les Ivoiriens ne sont pas encore sortis des blessures de la crise post-électorale de 2010-2011 qui a fait plus de 3 000 morts et des centaines de milliers de réfugiés. Alors qu’on croyait la démocratie en marche en Côte d’Ivoire, l’ombre funeste des crises passées revient encore, avec presque les mêmes acteurs au-devant de la scène. Difficile de prédire un dénouement heureux au soir du 31 octobre 2020. Et quelle que soit l’issue de cette présidentielle, le président Ouattara serait une nouvelle fois face à l’histoire, comme il l’a été ce 6 août 2020. Choisir de respecter le verdict des urnes, ou écouter encore ses partisans, qui n’ont pas forcément la faveur des sondages.